Jean Louis Roux  (2007)

 

C'est l'une des toutes premières expositions grenobloises de cette photographe grenobloise. Invitée par l'artothèque municipale, Christiane Sintès présente trois séries d'images à la délicatesse pleine d'émotion ; des images douées d'une maîtrise photographique très sure, mais mises au service d'une conception proche et fraternelle de l'humanité.

 

Ce sont des lieux de rien. Ce sont des lieux de peu, qui évoquent irrésistiblement les vacances de notre enfance et celles, plus modestes encore, de l'enfance de ceux dont nous sommes les enfants. Car il y a, dans ces images-là, une réminiscence lointaine de 1936 et des premiers congés payés. Aires de pique-nique en bord de lac, plages anonymes, digues et jetées : la présence de l'élément liquide semble comme une invocation à l'eau lustrale, à cette limpidité bienvenue où nous laver des misères de la vie ordinaire. Les photographies de Christiane SINTÈS touchent d'abord pour cela : leur apparente simplicité, leur humilité, leur humanisme – leur façon d'avoir été conçues à hauteur d'homme.

 

En couleur ou en noir et blanc, ces clichés effectués au sténopé (procédé photographique rudimentaire, consistant en une boîte noire percée d'un simple trou d'épingle en guise d'objectif) frissonnent du flou flottant de l'émotion, de la vie vibrante, de l'image captée dans le coulé, le glissé indécis du corps palpitant. Les temps de pose longs nécessités par cette technique photographique rendent les humains (saisis dans leur mobilité, leurs activités de l'instant) diaphane et pour ainsi dire fantomatiques – faisant songer par là aux photographies du XIX° siècle, avec leurs personnages réduits à l'état nébuleux.

 

Soulignant ainsi sa fine valse-hésitation autour des thèmes de l'apparition et de la disparition, Christiane SINTÈS use de tons pauvres, presque dénaturés : le bleu de l'eau vire au rose pâle, la montagne se moire de mauve foncé, etc. La couleur sombre dans le sombre ; elle se coule dans cette « note bleue » qui annonce le déclin du jour. Une autre série d'images de très petit format – paysages saupoudrés de neige – réalisées à la pellicule infrarouge (laquelle possède pour vertu d'accentuer l'intensité des blancs) confirme ce sentiment d'effritement, de poudroiement, de ténuité, d'insaisissabilité même. En témoigne cette silhouette d'arbre dénudé, presque immatérielle dans l’atmosphère ouatée de la brume. Il y a beaucoup de sensibilité ; beaucoup de justesse photographique aussi.

 

Jean-Louis Roux