Jean-Paul Gavard-Perret (2009)

 

C’est dans une série de "ponts" que Christiane Sintès est amenée à délivrer sa mémoire. Il lui faut cette sollicitation du tout près sur ce qui ne fait que passer. Ses "ponts" sont donc des passages sur l’éphémère que la photo retient sous diverses lumières mais sans la recherche d’  « effets » et sous divers registres de mystères.

 

Il s’agit d’une profondeur de mémoire comme il y a une profondeur de la rivière et d’une profonde répétition à l’intérieur d’un thème ou d’une stratégie de « prise ». Qu'il s'agisse d'effacement ou de surgissement, d'apparition ou de disparition. Ces thèmes s’inscrivent souvent à la surface de l’eau entre deux rives mais dans aussi dans la profondeur d'un sous-bois.

 

La photographie devient un moyen de connaissance à travers divers états et étapes. Lorsque Christiane Sintès se fait invisible ce qu’elle montre apparaît plus émouvant de toute la charge que ses prises contiennent. Tout se passe dans le statique de ce qui pourtant s’écoule. Hantise du temps et de l’eau « courante ».

 

Dans ces prises, l’Isère (par exemple)ne donne rien du fond d’elle-même, elle se borne à rendre le reflet que Christiane Sintes lui impose et qui se modifie suivent le temps. Pour le reste la rivière comme la photographe semblent dire : « je suis bien trop discrète, vous n’aurez de moi que du « blanc », rien de ma nature muette. Il est à venir celui qui me fera parler ».

 

Mais, en même temps, c’est là que l’artiste intervient. En multipliant ses prises elle ménage le plus de tentatives possibles pour arrêter un temps le cours de l’Isère et l’obliger à se pâmer quelque peu. Egarements, faveurs pudiques… C’est dans ces épreuves comme dans les séries en forêt de Chartreuse ou du Vercors que celui qui regarde trouve ce qu'il vient chercher puisque l'artiste lui permet cette possibilité ( ce dont il lui en est reconnaissant .

 

Christiane Sintès s’accorde et accorde ces miroirs ou ces fragments de miroir qui deviennent des expressions d’avant mots ou pensées. A tout désir d’évasion elle oppose la contemplation et ses « re-sources ». Inutile de partir, ce serait distraction. Il faut se battre avec cette œuvre ni narcissique ni ostentatoire et qui va sans hésiter lorsque c'est nécessaire du côté de l'effacement sans souci du beau, du décoratif bref de la facticité.